"Il regagna Guérande par les chemins de traverse. Une lueur maussade peinait à animer les marais englués dans la grisaille. Sous la bruine, ce paysage nu paraissait encore plus étrange, comme une eau-forte ondulant entre deux mondes noyés. Seul, de temps à autre, un vol de hérons ou de courlis dynamisait l'espace en griffant d'une tache claire la toile aquarellisée du ciel".

A écriture puissante, qui plante le décor d'une manière fine et précise, presqu'envoûtante, polar puissant, comme c'est toujours le cas avec Françoise Le Mer, l'une des grandes raconteuses d'histoires policières.

Celle-ci se passe dans les marais salants et d'emblée l'auteure nous fait partager le travail des paludiers dans leur cadre naturel, avec son vocabulaire particulier (vasières, oeillets, étiers, lousses, tremets, cobiers, fares, adernes).

Dans ce pays rude au labeur, où les gens apprécient, au moment du repas, "les noces charnelles entre la lascivité du beurre salé et l'ascétisme du pain de seigle", un homme, un paludier, a été retrouvé assassiné près d'un mulon, un tas de sel teinté de sang. Un fait improbable dans ce monde où la solidarité l'emporte en principe sur toute autre considération. La mort de Guénolé Le Dilesker est d'autant plus horrible que son cadavre est saigné à blanc et porte au cou des traces de morsures. On pense à des créatures vampiriques, c'est dire! Même sa voisine Marguerite, dite "Mama", une femme pourtant équilibrée et la tête sur les épaules, est prise d'un doute inhabituel.

Françoise Le Mer signe ici un beau polar salicole, plein de mystère et de suspense. Tout en nous donnant à découvrir une galerie de portraits saisissants.