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***INTERVIEW: DOROTHEE HENRY Bertrand Gilet Arsène Lupin et Cie, les gentlemen cambrioleurs, édité par L'Apart, novembre 2012. 189 pages. 24€.

Dorothé Henry, 32 ans, vient de publier aux éditions l'Apart ce livre consacré à son héros romanesque préféré: Arsène Lupin. Elle s'est intéressée aussi à d'autre gentlemen cambrioleurs, connus ou moins connus du grand public. Un livre de passion...et une sacrée aventure (mot qui, vous le lirez, revient souvent dans la bouche de Dorothée Henry. Nous avons cherché à en savoir plus sur Lupin avec elle.

Dorothée, présentez-vous brièvement...

Dorothée Henry: L'exercice le plus terrible, se présenter! Je dirai donc que je suis passionnée par la littérature populaire et policière, surtout celle du dix-neuvième siècle et du début du vingtième, mais je ne suis pas sectaire, je suis toujours heureuse de découvrir une pépite moderne! Cette passion m'a amenée à un doctorat de littérature moderne, qui fut un long travail, mais un travail passionnant qui me confirma que les livres étaient des objets magiques qui vous amènent dans d'autres mondes et vous ouvrent d'autres horizons...

Pourquoi, parmi vos lectures, celles des oeuvres de Maurice Leblanc et de son personnage célèbre Arsène Lupin, se sont-elles imposées d'emblée à vous, et pourquoi vous plaisent-elles?

D.H.: Pourquoi Leblanc? question épineuse...Peut-être parce que j'ai "rencontré" Lupin très jeune et que ces livres pleins d'aventures ne peuvent que motiver l'imagination. Il y en a bien d'autres, Agatha Christie, Exbrayat ou encore Steeman pour ne citer que les auteurs policiers...Mais Arsène Lupin est toujours revenu sur le devant de la scène. En fait, ça ne s'explique pas vraiment, c'est purement affectif.

Arsène Lupin est votre héros de papier préféré, on le comprend bien à la lecture de votre livre. En quoi ce personnage né il y a un siècle est-il moderne à vos yeux?

D.H.: Maurice Leblanc a eu l'intelligence, ou l'instinct, de ne pas inscrire son personnage dans le moment, mais dans le futur. Ganimard ne dit-il pas "il est d'aujourd'hui, ou plutôt de demain"? A l'époque des De Dion Bouton, Lupin roule déjà à tombeau ouvert (quelle était la vitesse de ce tombeau je n'en ai pas la moindre idée), il use d'un sous-marin, il prend l'avion. Lupin vit avec son temps et avance avec lui. On pourrait facilement transposer ses aventures aujourd'hui, Lupin serait toujours élégant, grandiose, mais il userait d'un smartphone et maîtriserait aussi bien l'informatique que l'art de contrefaire une signature.

Qu'est-ce qui le différencie de personnages aussi célèbres que lui: Sherlock Holmes, le Saint, le Baron, etc...

D.H.: Arsène Lupin est un paradoxe, comme son "titre de noblesse" l'indique, il est gentleman et cambrioleur. Alors que Templar ou le Baron mènent une double vie, Lupin en a une multiple. Il n'est jamais dans la société, ce sont ses avatars, d'Andrézy, Victor, Perenna qui évoluent dans les rues de Paris. Lupin a réussi, dans une société où l'identité est de plus en plus présente, à ne pas avoir d'identité définie. Ce n'est pas un simple cambrioleur, c'est un cambrioleur, un gentleman, un détective, un aventurier, un explorateur, un dilettante, etc. Quant à Sherlock Holmes, tellement particulier lui-aussi, il est le compétiteur naturel -pas l'ennemi- d'Arsène. Intelligence, intuition, volonté de fer, ténacité...Voilà bien des points communs entre ces deux gentlemen. Holmes n'exclut d'ailleurs pas un petit cambriolage de temps à autre pour servir les intérêts de son enquête, et je me demande si, dans d'autres conditions (si Conan Doyle avait bien voulu "jouer" le jeu avec Leblanc), les deux personnages n'auraient pas pu s'entendre pour mener à bien une grande enquête, une grande croisade au niveau de l'Europe...Mais je m'égare dans mon propre imaginaire, celui d'une lectrice qui en veut toujours plus, de la part de ses personnages et auteurs préférés...

Pourquoi lupin est-il à jamais le prince de la cambriole?

D.H.: Parce que Maurice Leblanc, tout en honorant une commande, a créé un archétype qui s'est dépassé lui-même. Il y a eu quelques esquisses dans le passé, des chevaliers d'industrie, des brigands repentis ou au grand coeur, mais Arsène Lupin est plus, il est tout cela, mais il n'est pas seulement cela. L'aventure n'est jamais finie avec Arsène Lupin, quand il se repent, c'est seulement pour un instant, puis il devient autre et entreprend une nouvelle aventure. Cambrioleur certes, puisque ce sont les mots de Leblanc qui sont restés autant dans la fiction que dans la réalité. Il suffit qu'un vol spectaculaire soit commis pour que les journalistes s'emparent des mots de leur confrère normand, gentleman-cambrioleur. Mais Lupin est beaucoup plus, Leblanc l'a fait tellement fouillé, tellement profond. C'est un être de papier, mais un être vivant avant tout.

 

Arsène Lupin peut-il être ce héros idéal à recommander à toutes les générations?

D.H.: Bien sûr! Lupin est sympathique, séduisant, un vrai chevalier qui a aussi l'humour de Guignol. C'est un acteur qui fait rire, frémir et pleurer. Chaque lecteur trouvera toujours quelque chose pour lui. L'aventure, la détection, le mystère. l'Histoire ou encore la romance. Maurice Leblanc était un écrivain hors-pair pour créer des situations complexes, mais jamais il n'a laissé le lecteur sur un sentiment d'inachevé.

Quels sont les romans de Lupin que vous préférez?

D.H.: Choix cornélien s'il en est. J'ai découvert le personnage avec le recueil Arsène Lupin Gentleman-Cambrioleur, et les trois premières nouvelles sont pour moi le trait de génie qui a fait du personnage un mythe littéraire. C'est dans ces trois premières aventures qu'Arsène a su dérober le coeur des lecteurs. Il y a aussi, bien sûr, L'aiguille creuse, qui est l'occasion de croiser un autre Rouletabille, Isidore Beautrelet, et qui nous offre un visage différent de Lupin, le Démiurge. 813 est une fresque historique qui s'apparente presque à du Dumas...L'île aux trente cercueils est un monument, puisqu'il se rapproche du roman gothique anglais...L'agence Barnett et Cie est très distrayante, et donne une dimension un peu "américaine" au personnage, un Sam Spade de boulevard!

Vraiment, j'ai de réelles difficultés à choisir. Pour moi, les aventures de Lupin sont une grande fresque épique et indivisible, même s'il est facile de lire un épisode indépendamment des autres.

Le ou lequel recommanderiez-vous de lire à quelqu'unqui ne connaît pas l'oeuvre de Maurice Leblanc?

D.H.: Le choix évident, Arsène Lupin Gentleman-Cambrioleur dont je parle plus haut. Il y a aussi la Comtesse de Cagliostro, qui nous présente la jeunesse du gentleman, et son entrée dans le monde de la cambriole. Mais on peut entrer dans le monde de Lupin par n'importe quelle porte; et le hasard fera sûrement des miracles pour le lecteur curieux.

De nombreuses adaptations cinématographiques ou télévisées ayant pour héros principal Arsène Lupin on été réalisées. Quelles sont celles que vous préférez, et pourquoi?...

D.H.: J'aime beaucoup l'interprétation de Georges Descrières. Sur la longueur, la série ou il joue le gentleman-cambrioleur est fidèle aux romans et nouvelles, bon enfant, distrayante. Mais c'est Robert Lamoureux qui demeure - et demeurera, j'en suis sûre - mon Arsène Lupin fétiche.  Les deux films où il endosse les défroques du gentleman sont un vrai plaisir. Surtout "Signé Arsène Lupin", d'Yves Robert où l'essence d'Arsène Lupin est bien présente. Le scénario revisite plusieurs aventures, les mélange, et le charme de Robert Lamoureux fait le reste. De nouveau, c'est très affectif, et difficilement explicable en quelques mots.

 

...et celles que vous n'aimez pas?

D.H.: La dernière adaptation des aventures du gentleman (plus précisément de La Comtesse de Cagliostro) me semble un sacré ratage. J-P Salomé avait toutes les carte en main pour renouveler le mythe auprès des jeunes générations, mais il a choisi la facilité du grand spectacle au détriment du suspense psychologique qui est au coeur du roman. La réécriture du personnage l'affadie, et les seconds rôles, tellement grandioses dans le roman, ont trop changé pour que justice leur soit rendue. On ne peut certes être totalement fidèle à un roman quand on l'adapte, mais il faut rester fidèle à son essence: à trop vouloir séduire le plus large public, on se l'aliène très facilement.

Vous avez d'autres projets d'écriture, dont un pastiche d'Arsène Lupin. Pouvez-vous déjà nous en dire un peu plus?

D.H.: Le pastiche d'Arsène Lupin était une évidence. Je pourrais remplacer pastiche hommage, puisque c'est avant tout un moyen de faire vivre une aventure de plus à mon personnage préféré tout en parlant des autres aventures. J'espère avoir su trouver le juste milieu entre un roman qui peut se lire indépendamment et un hommage dans lequel les aficionados trouveront leur compte.

Ensuite, d'autres horizons pour les nouvelles et romans que j'espère publier bientôt, mais toujours le mystère, la détection, l'aventure. Après m'être nourrie des grands maîtres comme Leblanc, j'espère avoir trouvé mon propre style et l'affirmer.

Propos recueillis par Bertrand Gilet le 20 décembre 2012.