Un océan de polars

Tous les enregistrements
INTERVIEW DE JEAN-LUC LOIRET (2020) Interview réalisé par mail le 4 avril 2020. L'auteur Jean-Luc Loiret évoque le personnage récurrent de ses huit romans policiers: le commissaire Venturini.

Jean-Luc Loiret: 

 

" Venturini n'aime pas qu'on lui dicte sa conduite "

 

 

Dans Et les étoiles ont reculé, Mario Venturini, le flic philosophe prend sa retraite. Jean-Luc Loiret, géniteur de ce commandant de police poitevin atypique qui a fait tant plaisir à des milliers de lecteurs (nb: 15 000, selon l'auteur) au cours de ses huit enquêtes poitevines, en a décidé ainsi. Retour sur une saga policière marquante entamée en 2008.

 

question 1: Jean-Luc Loiret, pouvez vous revenir sur les circonstances de la création et de l’apparition littéraires du Commandant de police poitevin Mario Venturini ?

J.-L.L.: J’avais annoncé qu’à la retraite j’écrirais un polar. A l’âge fatidique, je me suis lancé sans idées préconçues et il en est résulté « On ne meurt jamais par hasard ». L’idée d’un enquêteur philosophe s’est imposée à moi, sans doute parce qu’à l’époque, je découvrais Comte-Sponville et son petit traité des grandes vertus.

 

 question 2: Votre idée de départ, c’était bien d’en faire un personnage récurrent, ou alors vous naviguiez à vue ?

J.-L.L.: Non, aucunement, je n’avais envisagé qu’un seul polar. Mais ayant eu la chance qu’un éditeur s’intéresse à mon manuscrit par l’intermédiaire d’une libraire, (sans que je le sollicite), pour débuter une nouvelle collection, je me suis laissé prendre au jeu. D’autant que j’ai eu très vite des lecteurs fidèles qui attendaient une suite. Dès lors comment résister ?

 

question 3: Venturini est un flic à l’ancienne, avec ses méthodes bien à lui. N’était-il pas déjà, dès sa première enquête On ne meurt jamais par hasard, quelque peu anachronique dans une profession qui n’en finit pas de se transformer (nouvelles technologies, évolutions scientifiques, etc) ?

J.-L.L.: C’était un parti-pris dès le départ. Etant peu au fait des techniques modernes d’investigation, je ne voulais pas m’aventurer sur ce terrain. Trop risqué pour moi d’abord. D’autant qu’elles cadrent mal avec un flic philosophe qui a besoin de temps, de maturation. Tout se déroule à l’ancienne : le flair et l’intuition prennent le pas sur la génétique. En règle générale Venturini n’aime pas qu’on lui dicte sa conduite, que ce soit sa hiérarchie ou la technique. Il croit plus que tout à la prééminence de l’homme sur la machine. Le post-modernisme annoncé de tous côtés n’est pas pour lui.

 

 question 4: C’est un affectif qui aime à l’évidence évoluer professionnellement dans des lieux qu’il connaît. En ce sens il ne prend trop pas de risques - sinon physiques lors de certaines enquêtes, ce qui peut le rendre peu ambitieux professionnellement. Vrai ou faux ?

J.-L.L.: L’ambition ne fait pas partie de son univers, sans qu’il la rejette expressément. Il vit un peu hors sol car il s’appuie sur la philosophie pour gérer sa vie, ce qui est déroutant pour chacun de nous. Heureusement, parfois, il déroge à ses grands principes, la faiblesse humaine sans doute, ce qui le rend sympathique et le rapproche de notre condition.

 

question 5: C’est aussi ce qui le rend sympathique et apprécié de ses collègues ?

 

J.-L.L.: Oui et non. Ses proches collaborateurs l’apprécient et le suivent les yeux fermés même si parfois ils ont de la peine à le comprendre. Quant aux autres, pour ses chefs en particulier, Venturini reste une énigme, une sorte d’OVNI qui n’entre pas dans leurs schémas de pensée. Ses supérieurs, obnubilés par les statistiques, le poussent à accélérer le mouvement quitte à envoyer un innocent derrière les barreaux. C’est mal le connaître ! Il ne les suivra pas dans cette voie ; il sait que le temps ne se bouscule pas.


question 6: Côté coeur, Venturini n’aime pas trop les aventures sans lendemain. Entre Hélène, J.-L.L.: sa bonne amie de Bordeaux, fidèle mais à distance, puis Cathy, la bonne copine libraire qui va prendre de plus en plus d’importance dans sa vie il est vrai, il ne cherche pas vraiment la vie à deux ?

J.-L.L.: C’est un peu le problème de Venturini. Il avait deux amours, ce qui lui convenait fort bien. Il ne voulait surtout pas trancher entre Hélène et Cathy. Chacune était femme et maîtresse à tour de rôle. Les événements s’en sont chargés d’une façon douloureuse. Il a peur de s’engager et la perspective de vivre avec Cathy Meneau, la libraire, ne l’enthousiasme pas. Va-t-il se décider ? 

 

Adaptation à l'écran ? " Si un amateur se présente..."

 

question 7: En effet, dans votre dernier opus, il décide de faire sa vie avec Cathy. Sur le tard donc. Sa vie professionnelle était-elle donc un frein à sa vie de couple ?

J.-L.L.: Mais on n’en sait rien, à moins que j’aie raté quelque chose dans le dernier épisode ! Ce n’est pas sa vie professionnelle qui est un frein, mais sa propre indécision. Question amour, il ne parvient pas à se déterminer. Si Cathy a un gros pouvoir de persuasion, peut-être parviendra-t-elle à ses fins.

 

question 8: N’est-ce pas plutôt que Mario Venturini, philosophe par nature, a érigé la patience (et la tranquillité) en vertu cardinale ?

J.-L.L.: Oui parce que le temps est quelque chose d’essentiel dans sa vie et dans ses enquêtes. Le temps ne se bouscule pas, il a son propre rythme et il est présomptueux de vouloir modifier son tempo. On n’est jamais maître du temps.

 

question 9: Dans Et les étoiles ont reculé, le huitième et dernier tome donc de ses enquêtes, le commandant Mario Venturini prend donc sa retraite par votre volonté. Etiez-vous lassé de lui ou étiez-vous vous-même désireux de passer à une autre activité littéraire ou autre ?

J.-L.L.: Lassé de lui, absolument pas ! Son contact est réjouissant et il avait encore beaucoup à m’apporter. Du moins je présume. Mais moi, est-ce que j’avais quelque chose de nouveau à proposer? La crainte de me répéter et de lasser ainsi mes lecteurs a été la plus forte. N’est-ce pas mieux ainsi ? 

Autre version plausible : c’est lui qui m’a signifié mon congé en m’imposant sa volonté de se retirer. On ne peut pas s’opposer à Venturini !


question 10: Vous ne risquez pas de faire face à quelques doléances de lecteurs et lectrices qui avaient pris goût à la saga Venturini ? 

J.-L.L.: C’est déjà le cas. En effet certains lecteurs n’ont pas compris ce retrait et me le reprochent, mais avec retenue. D’aucuns pensent que c’est une fausse sortie, à la manière de vedettes qui reviennent sur leur promesse. Ils ont bien tort !

 

question 11: On se dit aussi que Venturini aurait pu être adapté à la télévision ou au cinéma. Y avez-vous pensé une fois ou deux, avez-vous eu des espoirs en ce sens, en avez-vous encore ?

J.-L.L.: Pour moi c’est une évidence, cela pourrait faire de beaux téléfilms. Je compte sur une chance bien improbable et je n’ai fait aucune démarche pour la provoquer. Si un amateur se pointe, il sera bien reçu.

 

question 12: Vous êtes un ancien coureur à pied, notamment marathonien:  êtes-Vous ce ceux qui font un rapprochement entre la course à pied de fond et l’écriture de romans, et pourquoi ?

 

J.-L.L.: L’écriture d’un roman est sans doute une épreuve de fond, il faut du souffle et de l’inspiration. Cependant un 100 km ou un marathon sont des œuvres éphémères. Un ouvrage a une vie un peu plus longue. Normalement !

Jean-Luc Loiret, je vous remercie.

Bertrand Gilet (interview réalisé par mail le 4 avril 2020)

 

                                                      ***

Titres des romans de Jean-Luc Loiret: On ne meurt jamais par hasard (Geste, 2008), La chute d’un flic poitevin Geste, 2010), Croix de bois, croix de fer, si tu mens… (Geste, 2012), Le marché aux tueurs (Geste, 2013), Tu l’emporteras pas au paradis (Venturini and Co, 2014), Entre 2 mondes (Venturini and Co, 2016), La veuve du colonel (Venturini and Co, 2018), Et les étoiles ont reculé (Venturini and Co, 2019).

J.-L. Loiret est également l’auteur d'un recueil de nouvelles policières bien senti, La vengeance du cochon (2011)