Polars nantais

LE NANTAIS (Nuits nantaises 2000) Carl PINEAU Editions Lajouanie, collection Roman Policier Mais Pas Que... 276 pages. 18

" On va le faire en deux temps, Greg, je vais d'abord te dire ce que les gens pensent de toi. T'as été un super flic, un enquêteur hors-pair avec un instinct de damné. Quand ta femme a succombé d'une overdose de saloperie frelatée, le dealer de cette merde a été retrouvé mort, une seringue dans le bras. On n'a jamais su ce qui s'était réellement passé... Ensuite, tu t'es mis à picoler sec. T'es devenu un zombi à peine contrôlable, t'as même failli te faire virer, mais il a été décidé qu'on devait te laisser une chance de remonter la pente. Les condés forment une famille, on n'abandonne pas un collègue dans le pétrin. Selon les apparences, t'as réussi à revenir parmi nous, t'as même eu ton heure de gloire en 1995. Tu coules une retraite pépère avec une Asiatique dont tu as l'âge d'être le père, tu t'occupes de toxicos que tu remets dans le droit chemin... Les flics d'ici t"admirent, t'es devenu un exemple ".

Un exemple, Greg ? Pas pour tout le monde. Les dealers de Bellevue et des Dervallières se foutent comme de leur première taf de la réputation de Greg Brandt, enquêur à la retraite, mais qui respire encore le parfum de vie qu'il lui reste, plus que celui de la tombe qui l'emportera bien un jour. L'ancien flic, malade, touché au coeur par la disparition de sa femme, est certes un cabossé de la vie. Néanmoins, il estime encore avoir un petit rôle à jouer : sortir quelques de camés de la merde qu'ils ingurgigent à longieurs de journées et des dégâts qu'ils font autour d'eux.

Pour ce troisième volet des Nuits Nantaises (nB:après L'Arménien et Le Sicilien), Carl Pineau nous promène (ce n'est qu'une façon une façon de parler) dans ces cités nantaises qui, il y a trente ans disons, étaient de sympathiques quartiers, populaires et à problèmes certes, mais encore familiaux et familiers : les Dervallières, par exemple, d'où l'on pouvait descendre à la Chézine en toute sécurité. Mis à part Bellevue, ville dans la ville, les autres quartiers qu'on osait qualifier de "craignos"(Malakoff, le Breil) n'étaient pas ce qu'ils sont devenus aujourd'hui.

Greg Brandt, donc, met sa dernière énergie à aider des jeunes, coincé qu'il est, tout de même, entre son désir de la jouer discrète et celui de ne pas pas compliquer le travail de la police qui consiste notamment à interpeller les plus violents, potentiels criminels, des traficos). Pas facile : d'un côté, une sorte de travailleur social, humain et psychologue, de l'autre de jeunes gradés de la Crim', prêts à faire feu de tout bois pour reconquérir les fameux "territoires perdus de la République"; et t au milieu... le Milieu nantais, justement !

Mais quand une jeune policière est retrouvée égorgée, probablement à cause de plusieurs d'héroïne volés au 36, quai des Orfèves, tout s'emballe. D'autant que Greg sent monter la menace autour de lui et ses proches,et que naturellement son poil en vient à se hérisser.

Dans un style au cordeau, nerveux, soutenu et imagé, Carl Pineau plonge le lecteur, d'abord médusé, dans ce monde de nuits violentes, de drogue, de vengeance et de postures, où chacun assène sa vérité à l'autre, quitte à sortir le flingue ou le couteau. Finie, pfuit, envolée, la Nantes doucereuse des années 70 et 80, avec sa pègre et ses codes d'honneur. Nous sommes au XXIe s!ècle dans une ville de Nantes qui n'en finit pas de se peupler et qui ressemble à toutes ces métropoles où chacun, du plus parfait idiot au plus redoutable manipulateur, entend jouer sa démoniaque partition.

Et le lecteur se prend au jeu, quitte à prendre des coups sur la tronche, lui-aussi, et à reléguer au vestiaire les oripeaux se sa naiveté et de son angélisme.

Nantais pur beurre amoureux de sa ville comme tous les Nantais, Carl Pineau, l'auteur qui n'en finit pas de monter, érudit et documenté, nous livre ici une oeuvre sidérante et même sidérale sur un environnement urbain en pleine déliquescence, probable reflet de la société actuelle.

Un polar torrentiel qui charrie de la haine, mais aussi de l'amour. Car scintille encore dans l'oeil de Greg le mince espoir qui le fait vivre.


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Le Blog de Bertrand Gilet